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Axe 1 - Le terroir, et après

Au Maroc, l’avènement du « terroir Â», depuis notamment le lancement du Plan « Maroc Vert Â» (PMV) en 2008, et la multiplication des approches patrimoniales en même temps que marchandes qui lui sont liées, ont été bien renseignés lors des travaux de la première phase du LMI. Nos recherches ont produit une analyse critique sur la façon dont le terroir est mobilisé par la puissance publique pour réinvestir les territoires ruraux marginaux (cf. bilan). Elles ont aussi mis en évidence l’appropriation de cette notion de « terroir Â» par les ruraux, dans leurs stratégies de compétitivité, et l’interdépendance étroite entre développement des produits de terroir et tourisme rural. Elles ont enfin montré comment la demande grandissante pour les spécificités des terroirs auprès des consommateurs urbains et des touristes pouvait reformater les « spécificités locales » et reconfigurer les relations entre rural et urbain. Au delà des critiques produites par nos analyses sur les dynamiques en cours, nous pensons que le terroir au Maroc, mais aussi en Tunisie et ailleurs en Méditerranée, n’est pas dépassé et mérite des recherches complémentaires. Ce constat est renforcé par le fait que les constructions patrimoniales liées au développement des terroirs se font sur un pas de temps relativement long. Cette dynamique de terroir a initié une recomposition, encore non aboutie, non seulement des systèmes de culture et de valorisation des produits, mais aussi de l’organisation sociale de la production et de la valorisation, ainsi que des systèmes de transmission des savoirs. Le suivi régulier de ces transformations multidimensionnelles nous parait important. A côté du foisonnement de nouvelles dynamiques sociales, économiques et identitaires engagées dans le sillage des « stratégies de terroir Â», nous avons relevé une certaine altération du contenu initial des concepts (terroir, produits de terroir, savoir-faire, patrimoine) qui semblent « débordés Â» par les différentes façons dont ils ont été mobilisés par diverses catégories d’acteurs comme support de développement, ou encore banalisés et utilisés comme alibi. Nous proposons donc de repenser la théorie du terroir à différentes échelles (globales et locales), en intégrant les temporalités et la durabilité, et en continuant à nous interroger sur les effets réels des politiques et des projets de terroir en termes de dynamiques socio-territoriales, économiques et écologiques.

Notre réflexion s’articule autour de plusieurs thématiques :

  • Où en est le terroir ? Le terroir a été introduit (au Maroc et aussi dans d’autres pays) par les politiques publiques et se qualifie surtout par ses produits et ses paysages, plus que par son ancrage socio-territorial ou historique. Le succès de ces politiques se traduit par une vingtaine de produits labellisés, l’émergence de filières dédiées, et la création de plusieurs centaines de coopératives, souvent féminines. Mais en matière de développement social ou de conservation des ressources bio-culturelles (objectifs affichés des politiques de terroir), les pouvoirs publics ont-ils réellement les moyens de leurs ambitions ? Le terroir est-il aujourd’hui stabilisé, ou encore à (ré)inventer ? Il s’agira de mieux étudier les différents termes et représentations associés au terroir aujourd’hui (c’est à dire après une dizaine d’années de mobilisation du concept) par les sociétés marocaines (et tunisiennes), en particulier auprès des populations rurales (comment le terroir se définit-il « de l’intérieur Â» ?), des consommateurs urbains et des touristes. Il s’agira aussi de cerner la capacité du terroir à rendre visible et à prendre en compte la diversité bioculturelle des espaces ruraux marginaux. Le terroir joue-t-il le rôle non seulement économique, mais aussi environnemental, social, culturel et identitaire qu’on lui a attribué initialement ? A-t-il renforcé la capacité d’autonomie ou d’auto-organisation du rural ? A-t-il permis aux sociétés et aux territoires de développer des fonctions spécifiques, d’exprimer des singularités ou d’affirmer des identités à partir desquelles peuvent s’ouvrir de nouveaux espaces de négociation où peuvent s’inventer de nouvelles formes de solidarité ?
  • Transmissions des savoirs liés au terroir. La modification importante des systèmes de culture et de valorisation portée par les démarches descendantes nécessite de creuser la question de la transmission et de la transformation des savoirs, des pratiques. Les démarches de terroir permettent-elles la conservation des savoirs vernaculaires, ou, au contraire, s’accompagnent-elles d’un déplacement des lieux et des modes de formation/transmission ? Quelles sont les conséquences de ces déplacements sur la nature et le contenu des savoirs, sur les relations entre sociétés locales et ressources ?
  • Stratégies de terroir et constructions patrimoniales. L’avènement du terroir se double de la montée en puissance du concept de patrimoine, mais la dimension patrimoniale des démarches ne semble pas avoir été suffisamment activée, en particulier du côté des sociétés locales. Il semblerait au contraire que la dimension économique des processus de valorisation de spécificités locales ait contribué à gommer la prise en compte des acquits patrimoniaux (la dimension historique, culturelle et identitaire des produits valorisés). En quoi les dynamiques liées à ces deux concepts (terroir et patrimoine) diffèrent-elles, y compris dans leur potentiel de développement ? Quelle influence ont-elles sur la construction ou le renforcement de nouvelles identités territoriales, de nouvelles constructions symboliques des lieux ? Comment la mise en avant du terroir peut-elle conforter une nouvelle « Ã©conomie patrimoniale Â» au niveau local comme au niveau régional ou national ?
  • L’ancrage des dynamiques de terroir.  La question de l’ancrage territorial et social des dynamiques de terroir est fondamentale, nous l’avons déjà abordée mais il est important de monter en généralité. Jusqu’à quel point ces dynamiques permettent-elles l’ancrage des nouvelles activités économiques dans les territoires qu’ils cherchent à toucher ? Comment cet ancrage économique se combine-t-il à (ou valorise-t-il) l’attachement historique entre sociétés/espaces/ressources ? Peut-il renforcer le lien socio-territorial et son animation ? Comment amène-t-il à une redéfinition, de la part des sociétés concernées, de leurs relations avec les « lointains Â» (sociétés urbaines et littorales, touristes étrangers) ?
  • Terroirs et ressources naturelles.  L’état des ressources naturelles sur lesquelles reposent les « approches terroir Â» appelle certains questionnements, en particulier sur leur renouvellement et leur gestion, mais aussi en ce qui concerne l’accès et l’usage. Sur ce dernier point, la disparition progressive (programmée ?) des formes collectives de propriété et de gestion est préoccupante. Des formes de « résistance Â» se mettent en place et méritent d’être analysées. Il s’agit de voir comment certaines ressources phares, notamment la terre, l’eau et la forêt sont réinvesties de nouvelles valeurs (marchandes, patrimoniales, environnementales, symboliques) et réappropriées par certains au détriment d’autres dans le cadre plus ou moins affiché du discours néolibéral entretenu sur le développement agricole et rural au Maroc.
  • Les dispositifs de valorisation. Nous souhaitons également renforcer l’analyse des trajectoires des produits au sein des filières (chaines de valeur, partage de la valeur ajoutée, rapports de force, etc.), des dispositifs mis en place pour les valoriser (labels, coopératives, foires, etc.), et des systèmes territoriaux associés. Comment les sociétés locales se réapproprient-elles (ou non) les dispositifs mis en place ? Au sein des territoires, quelles complémentarités, articulations ou contradictions entre les projets d’intensification agricole et ceux basés sur la valorisation des spécificités locales à l’échelle de la petite paysannerie ? Comment les nouvelles fonctions (alimentaires, énergétiques, environnementales, récréatives...) assignées par l’État, le marché et les institutions aux espaces ruraux, se combinent-elles ou entrent-elles en concurrence les unes avec les autres (exemple des paiements pour services écosystémiques dans l’arganeraie) ?