Terroir, patrimoine et valorisation : indications géographiques, tourisme rural, services, « panier de biens et services »
Sommaire
Thématique
La thématique 3 vise à cerner ce qui lie « qualité », « spécificité » et « terroir » ou « patrimoine ». Il s’agit dans un premier temps de comprendre en quoi la qualité est liée au lien entre lieux et sociétés et comment une stratégie de valorisation peut enclencher durablement un «cercle vertueux» de développement. Puis, nous attachant à suivre les interactions entre acteurs publics et privés, locaux et externes, nous tenterons d’analyser où, comment, et par qui se définissent, pour un terroir donné, les produits ou services à valoriser, les modes de valorisation (tourisme, produit de terroir, rémunération environnementale), de labellisation (IG?), d’organisation pour le développement (action individuelle ou collective, publique ou privée.
Quelques résultats
Les dispositifs de valorisation (filières de produits de terroir et projets de tourisme rural)
Dans l’étude des dispositifs de valorisation liés au terroir, nous avons cherché à comprendre comment la valorisation consolidait, ou, au contraire, affaiblissait, les liens entre les éléments valorisés et leur terroir-support. Nous avons aussi analysé l’effet de cette valorisation marchande sur la conservation des savoirs et des ressources à l’origine des produits.
La valorisation des terroirs repose sur la mise en marché d’éléments autrefois soustraits de l’ordre marchand. Même si la question de la viabilité économique reste essentielle, le recours au terroir devrait permettre (on l’a constaté en Europe) de mobiliser ou de reconstruire des identités territorialisées : celle des exploitants et des systèmes d’exploitation, celle des « pays », agraires ou agritouristiques, construits sur ces systèmes. Au-delà de la recherche d’une rentabilité économique, l’exposition des singularités liées à ces identités à travers la description d’un produit alimentaire ou d’une destination de vacances qui mobilise toutes les dimensions de sa production, cherche à donner du sens aussi bien à la valorisation du processus de production agricole qu’aux entreprises touristiques. Dans la réalité, cela est parfois le cas, mais le plus souvent, cette reconstruction d’identités territoriales à travers les dispositifs de valorisation de leurs spécificités est terriblement simplifiée.
Au niveau des produits, le premier constat est celui d’un glissement progressif vers des « produits de terroir » standardisés et parfois a-territoriaux, au moins dans une des phase de la valorisation, glissement qui s’accompagne en général de la confiscation d’une grande partie du processus de valorisation au profit d’acteurs extérieurs ou de la marginalisation des acteurs les plus vulnérables : en effet, dans un contexte marqué par la circulation généralisée, la mise aux normes sanitaires ou gustatives et la standardisation des produits, les dispositifs de valorisation ont du mal à échapper à une inscription dans des filières extérieures aux territoires de production ou à des formes d’organisation détachées de leurs habitants. Les produits de terroir peuvent ainsi servir de support à des stratégies marchandes qui suivent une logique capitaliste souvent fort éloignée de celle des producteurs locaux. L’exemple de l’huile d’argan est emblématique de cette dé-territorialisation liée à la valorisation et a fait l’objet de plusieurs publications au sein du LMI. Entre les premiers projets de coopératives féminines et l’omniprésence actuelle des transformateurs industriels, l’objectif initial a été très largement adultéré, et l’huile a perdu son lien historique aux lieux et aux habitants de l’arganeraie. Bien que l’obtention d’une IG (la première pour le Maghreb et pour le continent africain) exige que toutes les opérations soient réalisées à l’intérieur de l’aire géographique identifiée dans l’arrêté ministériel, on observe une grande distanciation entre les zones de ramassage des fruits et les lieux de transformation. Au final, l’essor de la filière argan a peu à peu dépossédé les ménages ruraux d’un bien patrimonial, devenu un produit commercial hors de leur portée.
A l’inverse, nous avons pu observer une spécialisation accrue des terroirs autour de productions « étendards ». Le recensement par l’État, région par région, des produits susceptibles d’être valorisés, et la mise en place des dispositifs de labellisation liée à l’origine, tendent à renforcer ce phénomène : la grande région de l’Oriental se résume à deux productions sous IG (la Clémentine de Berkane et la viande d’agneau Beni Guil), Taliouine est devenu le pays du Safran et la vallée du Mgoun celui de la rose. Cette spécialisation peut être induite par le succès de ces mêmes dispositifs de valorisation qui conduisent à la dé-territorialisation mentionnée ci-dessus. Du fait du succès commercial de l’huile d’argan, la grande région de l’arganeraie, qui produit une viande de chevreau unique et des miels de qualité supérieure (miel d’arganier, miel d’euphorbe) n’est plus connue que par son huile : le développement de la filière constitue un dispositif d'accaparement qui tend à faire de la production d'huile cosmétique le pôle dominant du système productif et à asseoir l'hégémonie de l'aval de la filière sur l'exploitation des ressources.
Les dispositifs liés au tourisme rural favorisent également de multiples changements. La mise en marché du terroir par l’accueil sur place fait glisser le terroir d’un espace support d’appartenance, de production et de lien social à un espace approprié par d’autres pour son altérité et souvent redessiné selon les perceptions de ces acteurs. Ce modèle peut alors amener les producteurs locaux à se tourner vers une spécialisation touristique qui les éloigne de leurs activités et les amène à redéfinir leur identité de façon à plaire aux touristes. Le développement du tourisme peut aussi s’accompagner de prélèvements sur des espaces agricoles très limités et de migration d’une main d’œuvre agricole au savoir-faire ancestral vers les activités touristiques.
Pour tempérer ces constats négatifs, il faut aussi mentionner que ces dispositifs de valorisation ont permis d’extraire les spécificités locales d’une sphère folklorique (au mieux) ou archaïque (au pire) en montrant tout à la fois leur pertinence socio-économique contemporaine et les enjeux qu’ils représentent pour le maintien d’exploitations agricoles familiales viables ou pour la restauration d’un tissu de socialités sans lequel les terroirs ne peuvent survivre. La revalorisation de certains patrimoines en voie de disparition a permis également la sauvegarde et le transfert de savoir-faire précieux.
Publications
Aderghal M. Territoires, projets de développement et problématique touristique dans le pays d’Oulmes. In Berriane M., (dir.) Le tourisme des arrière-pays méditerranéens, des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, édition Université Mohammed V – Agdal, Université Euro-Méditerranéenne de Fès et LMI MediTer, 2014, pp. 51-77.
Aderghal M., Amzil L., Berriane M., Fenocchi A., Furt J.M., Moizo B., Nakhli S., Tafani C., Tebaa O. et Binane A., sous la direction de Berriane M. Le tourisme des arrière-pays méditerranéens, des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, édition Université Mohammed V – Agdal, Université Euro-Méditerranéenne de Fès et LMI MediTer, 2014, 272 p.
Berriane M. (dir). Le tourisme dans les arrière-pays méditerranéens. Des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques. CERGéo, UEMF et LMI MediTer, 2014.
Aderghal M., Berriane M., Amzil L. La montagne marocaine : y a-t-il un renouveau par les terroirs ? Études sur les massifs d’Oulmes et du Siroua. In Berriane M. (dir.), Le tourisme des arrière-pays méditerranéens, des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, édition Université Mohammed V – Agdal, Université Euro-Méditerranéenne de Fès et LMI MediTer, 2014, p. 151-176.
Berriane M. Introduction générale : Les arrière-pays méditerranéens : Destinations touristiques émergentes. In Berriane M. (dir.), Le tourisme des arrière-pays méditerranéens, des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, édition Université Mohammed V – Agdal, Université Euro-Méditerranéenne de Fès et LMI MediTer, 2014, p. 9-20.
Berriane M. L'arrière-pays au secours du littoral ? Le cas du littoral de Tétouan et de son arrière-pays. In Berriane M. (dir.),Le tourisme des arrière-pays méditerranéens, des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, édition Université Mohammed V – Agdal, Université Euro-Méditerranéenne de Fès et LMI MediTer, 2014.
Berriane M., Amzil L. Les Ida-ou-tanane : Une destination touristique produit du jeu des acteurs. In Berriane M. (dir.), Le tourisme des arrière-pays méditerranéens, des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, édition Université Mohammed V – Agdal, Université Euro-Méditerranéenne de Fès et LMI MediTer, 2014, p. 79-113.
Berriane M., Nakhli S. La gestation d'une nouvelle destination touristique aux portes d'Essaouira : tourisme rural ou tourisme de banlieue ? In Berriane M. (dir.), Le tourisme des arrière-pays méditerranéens, des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, édition Université Mohammed V – Agdal, Université Euro-Méditerranéenne de Fès et LMI MediTer, 2014, p. 116-149.
Berriane M., Aderghal M. Amzil L. La montagne marocaine : y a-t-il un renouveau par les terroirs ? Études sur les massifs d’Oulmes et du Siroua. In Berriane M. (dir.), Le tourisme des arrière-pays méditerranéens, des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, édition Université Mohammed V – Agdal, Université Euro-Méditerranéenne de Fès et LMI MediTer, 2014, p. 151-176.
Berriane M. Aderghal M. Conclusion générale : L’intérêt des regards croisés. in Berriane M. (dir.), Le tourisme des arrière-pays méditerranéens, des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, édition Université Mohammed V – Agdal, Université Euro-Méditerranéenne de Fès et LMI MediTer, 2014, p. 261-269.
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