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Tutelles

Terroirs et patrimoines ruraux au 21e siècle, entre idéologie, projets et réalité concrète

Sommaire

Thématique

La thématique 1 cherche dans un premier temps à expliciter les présupposés théoriques, idéologiques et socio-historiques qui imprègnent les discours et les actions des différents acteurs impliqués dans ces dynamiques de renouveau des terroirs. Puis partir de cette base dialectique nous pourrons questionner, du point de vue de différentes parties prenantes et avec les acteurs concernés, ce que représente et signifie localement le « terroir » et ce qui « fait patrimoine » au sein de ce terroir, en nous intéressant aux changements des représentations attachées à ces concepts dus à la multiplication des démarches (approche-terroir, patrimonialisation) qui mettent en action ces concepts. Terroirs et patrimoines se retrouvent aujourd’hui à la croisée des savoirs : du savoir local aux discours internationaux ; des savoirs empiriques aux plus savants ; des savoirs individuels aux savoirs collectifs. Comment ces savoirs se côtoient-ils, s’hybrident-ils, rentrent-ils en concurrence ? Quelles continuités, quelles ruptures ces rencontres produisent-elles ?

Quelques résultats

Le terroir et ses avatars : un concept glissant mais largement adopté au Maroc

Une partie de nos recherches s’est attachée à suivre l’appropriation des concepts de terroir, de patrimoine et de tourisme rural par les acteurs marocains (de la puissance publique aux investisseurs privés, aux communautés locales et aux consommateurs), et à analyser leur éventuelle transformation lors de ce processus.

De façon globale et récurrente, le terroir est utilisé comme une catégorie analytique visant à qualifier (ou à disqualifier) les espaces ruraux. Mais le mot fait aussi référence à des espaces concrets, souvent marginalisés par les politiques de modernisation agricole des dernières décennies, et confrontés à une conjonction de défis économiques, sociaux et environnementaux. Ces terroirs sont aujourd’hui présentés comme un atout majeur pour le développement rural, en particulier à travers la valorisation de leurs spécificités : la mise en avant de produits singuliers et/ou de formes de tourisme alternatif est au cœur des stratégies engagées depuis plusieurs décennies au nord de la Méditerranée, et transposées plus récemment vers les rives sud et est.

Au Maroc, l’État a inscrit le terroir comme élément stratégique pour le « développement solidaire de la petite agriculture », avec l’introduction du concept de « produit de terroir », l’adoption d’un dispositif réglementaire sur les Indications Géographiques, et le développement de filières liées aux produits locaux → le terroir devient ainsi une nouvelle catégorie d’action publique pour le développement agricole et rural, mais aussi une opportunité pour l’État de réinvestir des zones restées largement marginalisées ou ignorées.

Cet intérêt pour les terroirs et leurs spécificités est exemplaire de la circulation des concepts, des normes et des dispositifs d’action publique du Nord vers le Sud. Il doit beaucoup à la coopération internationale, en particulier européenne [1] (échanges d’experts et de scientifiques, programmes d’aide au développement, coopération décentralisée). Parmi les éléments décisifs dans l’adoption des politiques de terroir au Maroc, nous avons relevé la mise à disposition auprès du CGDA [2] du Maroc d’un expert du CGAAER [3] de France autour de la formulation des politiques du pilier II du Plan Maroc Vert, l’influence du collectif « Terroirs et Cultures » soutenu par l’UNESCO (qui a tenu sa seconde rencontre internationale au Maroc), un certain nombre d’initiatives concrètes soutenues par des bailleurs internationaux (comme le développement de l’huile d’argan, avec la GTZ [4], puis un programme de l’Union Européenne) ou encore la coopération décentralisée entre régions françaises et marocaines [5] → le terroir apparait donc aussi comme un élément stratégique des relations bilatérales.

Aujourd’hui, le concept de terroir semble rencontrer l’assentiment des investisseurs, y compris d’une certaine frange des sociétés rurales qui l’incorporent dans leurs stratégies de compétitivité : conscients de leurs handicaps sur le marché mondial des produits standardisés, ils orientent leur action vers la recherche de ressources territoriales spécifiques susceptibles d’être valorisées. Le lien au lieu et à son histoire, la qualité et la différence apparaissent comme des moteurs essentiels de la compétitivité → le terroir devient un atout pour le repositionnement économique et politique des zones marginalisées en leur offrant une nouvelle perspective de développement.

Le développement du tourisme rural a suivi une démarche un peu différente, impliquant plutôt des ONG ou des individus que la puissance publique, mais s’inspirant très largement des exemples européens. Le moteur de ce développement n’est pas fondé sur la marchandisation de ressources génériques mais sur celle des patrimoines vernaculaires typiques des terroirs : paysages agricoles, cultures et produits alimentaires ou artisanaux, architectures locales. Les investisseurs privés (souvent étrangers) sont majoritaires dans ces dynamiques encore mal encadrées par des politiques sectorielles souvent contradictoires → ici, le terroir n’est pas une ressource en soi, mais plutôt le cadre et le support d’un développement touristique proposé comme une alternative au tourisme balnéaire ou culturel.

Le terroir rencontre aussi l’adhésion des consommateurs urbains et des touristes : leurs productions (notamment alimentaires), dans la mesure où leur spécificité tient à l'incorporation de valeurs aussi bien patrimoniales que nutritives et environnementales, répondent aux nouvelles attentes des consommateurs liées à la recherche d'authenticité, de qualité, de protection de l’environnement et de justice sociale → le terroir devient ainsi gage de qualité, … et parfois même argument de vente.

Ces dynamiques liées au terroir, aux dimensions multiples, semblent dépasser aujourd’hui les limites assignées au terroir par les politiques publiques et les premiers projets qui l’ont mobilisé. Elle provoque également une banalisation du concept, largement débordé par ces différentes mobilisations : tout ce qui vient du rural tend à devenir terroir.

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[1] Les pays du sud de l’Europe, et parmi eux la France, ont beaucoup œuvré pour la reconnaissance et la protection des savoir-faire liés aux terroirs ruraux, et pour l’adoption des Indications Géographiques, au niveau de l’OMC et de la Convention sur la Diversité Biologique, et dans leurs politiques de coopération avec les pays du Sud
[2] Conseil Général du Développement Agricole
[3] Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux
[4] Agence de coopération allemande.
[5] Dans l’Oriental, le Souss ou le Rif, la coopération décentralisée a mis en place des opérations de recensement des produits emblématiques des cultures régionales, et soutenu les démarches de qualification territoriale de ces produits ; elle a aussi fourni un appui à la commercialisation et à l’organisation des producteurs.

Publications

Barthes A., Kamil H. Patrimoines, transmission des savoirs et éducation au patrimoine, quels enjeux socio-territoriaux ? Revue francophone du développement rural, 2015, n° 6.

Senil N., Michon G., Aderghal M., Berriane M., Boujourf S., Furt J- M., Moizo B., Romagny B., Sorba J-M., Tafani C.  Le patrimoine au secours des agricultures familiales ? Éclairages méditerranéens, Revue Tiers Monde , 2014/4, 220, oct-déc, pp. 137- 158.