Vous êtes ici : Accueil / Axes de recherche / 2016-2020 / Le rôle des mobilités dans la dynamique des espaces ruraux marginaux

Tutelles

Axe 2 – Le rôle des mobilités dans la dynamique des espaces ruraux marginaux

Le thème des mobilités liées aux espaces ruraux est présent depuis le début dans les réflexions du LMI. Il s’agissait bien sûr des mobilités inhérentes aux systèmes de gestion des ressources (transhumance pastorales et nomadisme), mais aussi de mobilités plus larges des hommes, des idées et des marchandises. Nous sommes en effet partis de l’hypothèse que terroirs et arrière-pays, souvent vus comme des espaces fermés sur eux-mêmes, sont depuis longtemps traversés par des dynamiques mobilitaires, aujourd’hui renouvelées par l’ « hyper mobilité », et qui en font des espaces émergents grâce à la mise en avant de leurs spécificités locales. Les travaux menés lors du premier mandat du LMI ont confirmé que ces mobilités, multiples, ont largement participé et continuent à participer à la construction des terroirs. Elles constituent aujourd’hui un véritable facteur de changement, car elles introduisent dans les espaces de la marge des innovations techniques et sociales, ouvrent à de nouvelles pratiques productives ou touristiques, offrent de nouveaux marchés pour les produits locaux, et, souvent, révèlent (et parfois aussi s’accaparent) des ressources latentes. Nos travaux ont aussi souligné l’importance des interrogations sur le territoire autour du couple apparemment antagoniste mobilités / fixation (ou sédentarité). Ils ont mis en évidence l’émergence de nouvelles formes de ruralités liées à l’arrivée d’acteurs « étrangers » aux territoires (européens, migrants de retour, touristes) proposant ou imposant de nouveaux rapports aux lieux. Ces divers constats montrent l’importance des mobilités comme facteur de changement culturel et productif  pour les espaces ruraux de la marge, et imposent de continuer à creuser cette relation entre mobilités et dynamiques des territoires et des sociétés d’arrière-pays. Il ne s’agit pas tant de caractériser les mobilités en elles-mêmes que de comprendre leur impact sur ces dynamiques. L’accent sera mis sur quatre principaux types de mobilités :

  • les mobilités touristiques, de plus en plus fréquentes et massives (constituées de touristes aussi bien étrangers que  nationaux) ;
  • les mobilités entrepreneuriales, liées aux politiques agricoles et au développement du tourisme (on inclura dans ces mobilités l’arrivée d’investisseurs suite au déploiement des politiques de terroir, le déplacement vers le sud des grandes entreprises agricoles de fruits et légumes, attirées par les oasis et leurs ressources hydriques, et les entrepreneurs venant dans les arrière-pays pour y installer des maisons d’hôte ou proposant des circuits touristiques) ;
  • les mobilités rural/urbain : mobilités sortantes (liées à la scolarisation ou au travail, avec à la fois la féminisation des mobilités mais aussi celle des campagnes), mobilités entrantes (liées au tourisme ou à la résidence, mais aussi au commerce des spécificités locales et aux retours) ;
  • les mobilités de résidence (urbains, souvent retraités, souvent étrangers ou migrants de retour, venant s’installer de façon permanente ou temporaire « à la campagne »).

Plusieurs entrées thématiques seront développées dans cet axe.

  • Mobilités, patrimonialisation et (re)construction des identités socio-territoriales. La patrimonialisation du rural est un processus qui engage des dynamiques sociales localisées, dans un contexte de mondialisation, mobilisant une multiplicité d’acteurs aux visées souvent divergentes pour ne pas dire contradictoires. Même si c’est le plus souvent dans la rencontre des regards « intérieurs » et « extérieurs » que se révèlent (ou se redéfinissent) des saillances patrimoniales locales et que ces dernières apparaissent comme un nouvel enjeu à la fois identitaire, territorial et économique, la patrimonialisation du rural (au Maroc, et, plus largement, en Méditerranée) est fortement tributaire d’acteurs extérieurs aux territoires ruraux : investisseurs privés, porteurs de projets touristiques, agents des projets de qualification des produits de terroir ou de mise en place d’aires protégées. Ceci nous amène à nous interroger sur le phénomène que décrit, pour les espaces urbains, Yerasimos comme une « patrimonialisation importée ». Comment les mobilités influent-elles sur la réhabilitation de produits, de traits culturels ou historiques jusque-là méprisés, comment modifient-elles les évènements festifs (foires,moussems), ou la perception de la nature et des ressources ? La mise en circulation, par le biais du marché (alimentaire, touristique) des spécificités locales, ou au contraire leur fixation à travers des programmes de conservation, sont-elles compatibles avec une démarche patrimoniale ? Dans quelle mesure, les titulaires des patrimoines locaux associés à ces démarches se sentent-ils concernés par ces processus ? N’y a-t-il pas un risque de partition entre les « patrimoines des étrangers » et les « patrimoines des locaux » ? Enfin, si les mobilités requalifient et valorisent des spécificités jusqu’ici considérées par leurs titulaires comme des biens ordinaires, elles sont aussi abordées comme un processus pouvant mener vers l’homogénéisation des traits culturels des sociétés rurales et la banalisation des techniques, des pratiques de production et des modes de vie. De quelle façon les mobilités participent-elles à la fabrication d’une « culture rurale » reconstruite par des acteurs allogènes et destinée à la consommation touristique ou urbaine ? Ne risquent-elles pas alors d’entrainer un repli identitaire sur les terroirs ? Ou, au contraire, favorisent-elles l’émergence de nouvelles solidarités, de nouvelles pratiques sociales diversifiées ?
  • Mobilités et ressources : de la mise en valeur à l’accaparement des ressources productives ? Si les mobilités permettent parfois la révélation de ressources latentes, contribuant de ce fait à donner une valeur monétaire à des biens jusqu’alors exclus de la sphère du marché et procurant des revenus aux populations locales, elles peuvent aussi entrainer aussi une surconsommation, voire un accaparement des ressources usuelles (accès à l’eau, au foncier). Il est alors important de voir comment les mobilités (en particulier liées au tourisme ou à la valorisation des spécificités locales) peuvent donner naissance à des tensions sociales et soumettre les milieux à des formes d’exploitation « minière » provocatrices de dysfonctionnements  socio-écologiques. Les dynamiques mobilitaires ne sont pas présentes partout et ne se déroulent pas au même rythme. C’est pourquoi il est aussi important de s’intéresser, à travers les mobilités, au concept d’égalité des territoires, en particulier dans le cadre de la mise en place des « approches terroir » : que deviennent les territoires qui n’attirent pas les investisseurs ou les touristes car ils ne présentent pas de « spécificité » marquante susceptible d’être valorisée ?
  • Mobilités et relations entre rural et urbain. La transformation de la carte du peuplement (littoralisation, métropolisation) et la complémentarité économique des espaces bouleversent la dynamique des espaces ruraux de la marge. Par ailleurs, les flux d’hommes et de marchandises entre espaces urbains, littoraux et ruraux prennent de plus en plus d’importance. Dans ces flux, les espaces ruraux marginaux sont à la fois des espaces de départ et des espaces attractifs. Ces constats nous amènent à réinterroger les relations/articulations entre littoraux/métropoles et arrière-pays. S’impose ici la question des nouvelles configurations des relations villes/campagnes, l’empiètement des villes sur les espaces agricoles, et la transformation des campagnes inscrite dans un processus de relocalisation des activités agricoles, industrielles et touristiques. Comment les mobilités établissent-elles de nouvelles relations villes/campagnes, en particulier autour de la question alimentaire, mais aussi des questions énergétiques, culturelles, de l'évolution des rapports à la nature, et des processus de discrimination sociale ? Contribuent-elles à créer de nouvelles solidarités rural/urbain qui pourraient redessiner les modalités des transferts de revenus, les systèmes de pluriactivité ? Comment permettent-elles de redéfinir « le centre » et « les marges » ?
  • Habitants permanents, habitants mobiles : vers l’abolition des frontières entre allochtone et autochtone, entre local et international ? On assiste depuis plusieurs décennies au nord de la Méditerranée, et plus récemment au Sud, à l’arrivée dans les arrière-pays d’un phénomène que les anglo-saxons ont qualifié de « lifestyle migration ». Cette approche sociologique permet de donner du sens à des situations entre deux et qui renvoient à des motivations plurielles et complexes. Elle concerne des personnes qui se déplacent à plein temps ou à temps partiel vers des destinations où elles pensent trouver une qualité de vie meilleure. Il s’agit donc du transfert (partiel ou total) d’activité et de résidence, d’urbains, souvent européens, vers les espaces ruraux de la marge, un phénomène qui se situe entre tourisme prolongé, résidence alternée et installation permanente. Les itinéraires circulatoires des individus concernés, qui accumulent des expériences au sein d’un espace de vie élargi, s’articulent autour de plusieurs lieux de vie. La généralisation du phénomène semble abolir, ou du moins redéfinir, les termes de l’ancienne confrontation entre « autochtones » et « allochtones », et entre tourisme et migration. En effet, les migrations pour le travail, les retraités européens en résidence plus ou moins permanente, les migrants de retour au pays, les européens ouvrant des structures d’hébergement et s’installant dans la durée, viennent brouiller la distinction entre les « acteurs du territoire » et les « étrangers ». La réflexion à mener sur ce phénomène est multiple Au-delà de l’analyse des parcours, des motivations et des expériences de ces touristes/migrants, l’étude des dynamiques que peut déclencher leur arrivée dans les arrière-pays est essentielle. Elle embrasse les interactions avec les populations locales, les effets économiques et sociaux et les questions identitaires. Les nouvelles représentations entrainées par l’interaction entre anciens résidents et nouveaux arrivants se manifestent aussi dans de nouvelles formes d’expression culturelle, de mise en avant des identités locales (musées ruraux), et d’impacts sur le rôle des femmes qu’il sera important de comprendre.